lundi 7 septembre 2015

La peur du jugement de l'autre

Christine est totalement perdue. Elle a peur des chevaux.

Elle est assise sur le bord des fesses, regardant par terre. Elle doute de sa démarche :

- J'ai peur des chevaux et je travaille avec eux. Vous êtes ma dernière chance, j'ai déjà été chez des psys de toutes sortes. Personne n'a pu m'aider...


- Je suis ne pas psy, je suis équicoach. Qu'est-ce qui vous fait croire que je peux vous aider?

- Les chevaux!

Bien qu'au passage j'admire son intuition, ai-je moi envie d'aider quelqu'un qui démarre en me disant en substance qu'après l'équicoaching point de salut?... je doute! Il y a comme un défi dans sa voix et un grand désespoir aussi.

Je lui demande ce qui l'amène. Elle travaille avec des enfants et des chevaux et ... elle a peur! De plus en plus! Elle a peur des chevaux qui sont "imprévisibles parce qu'ils ont peur de tout" et pour se donner du coeur au ventre elle boit. Au début ce n'était pas beaucoup, juste un peu pour se donner du courage. Et elle se rend compte qu'elle a besoin d'aide pour tout et elle a honte.

Après avoir recherché la situation idéale qui serait de remonter à cheval, nous nous quittons et elle promet de m'écrire dès qu'elle s'y est mise. Elle m'envoie en effet un mail très formel comme une check list : c'est fait!

Je la félicite et apparemment je suis la seule de nous deux à être heureuse de sa réussite!

Elle s'engage alors à remonter un autre cheval. Même scénario elle m'envoie un mail très formel comme une check list : c'est fait!

Mes félicitations la laissent de marbre. Je sens une immense résistance, plus qu'une vue de l'esprit ou un aspect de théorie analytique, c'est vraiment une résistance physique, comme un mur qu'elle construit entre elle et moi... Et que je construit de mon côté en doutant de plus en plus d'être à même de l'aider!

La résistance est un mouvement

D'un autre côté, je m'en réjouis aussi. La résistance est un mouvement. Un mouvement en sens contraire. Cela veut aussi dire qu'un changement est déjà amorcé. Elle découvre la construction de ses propres schémas mentaux. Qu'est-ce qui l'a empêché de changer jusqu'ici? Il y a sans nul doute un bénéfice à être dans cette situation, voire de l'empirer.

Systématiquement, avec le cheval choisi pour son accompagnement en équicoaching, elle demande  à ce que la jument reste calme et ne bouge pas. Et oui!! Le changement c'est bouger, et bouger c'est changer, et changer c'est dangereux... Et c'est ce qui se passe. La jument semble à chaque fois complètement léthargique.

Christine, qui a peur du vent autant que des chevaux se trouve à la séance suivante dans une mini tornade. A nouveau elle demande à ce que la jument reste calme. Elle, Christine, sursaute au moindre craquement de bois du lieu où nous sommes qui, je l'avoue, prend des allures de navire en pleine tempête. Debout depuis 1867 le bâtiment est sûr et indémontable. J'attire son attention sur le fait que la jument reste totalement zen et que l'équation d'imprévisibilité des chevaux est à écarter.

Ma cliente s'engage pour la fois suivante à faire une promenade en main avec un de ses chevaux. Le mail formel est envoyé : c'est fait!

Quand ma cliente revient la fois suivante, il y a de l'orage. Décidément l'environnement fait tout pour me rendre service! Avec un grand sourire elle me demande si c'est raisonnable de faire la séance puisqu'il y a de l'orage. Et... Christine a peur de l'orage! Elle s'assoit sur le canapé et ressemble à un animal traqué.... seulement elle sourit. Beaucoup. Et le ton monocorde est là :

- Voilà, c'est fait. J'ai promené le cheval. Et je n'éprouve aucun plaisir.

Et nous y sommes! Le plaisir. Où a-t-il disparu dans son histoire? Impossible d'en parler, les éclairs et le tonnerre auront raison de la séance. Elle prend rendez-vous pour la fois suivante et lui prêtant de quoi se couvrir, je l'accompagne sous des trombes d'eau jusqu'à sa voiture dans laquelle elle restera jusqu'à la fin des turbulences.
Quand je sors mes chevaux un peu plus tard, je la vois quitter le parking et elle me fait un signe de la main, très hautaine... je doute de la voir au rendez-vous fixé.

Mais non! Elle est là. Je lui demande ce qui s'est passé pour elle. C'est tout simple, elle a peur, elle sait pourquoi  et c'est comme ça. Elle a raison. Elle sourit à nouveau.

Je lui fais remarquer qu'elle me confie être terrorisée alors qu'elle sourit comme si elle m'annonçait une nouvelle très heureuse... ça la fait sourire plus fort encore! Je suis prête à métacommuniquer sur nos résistances et  le doute que j'ai de pouvoir l'accompagner  - d'autant qu'elle a quelque part déjà posé le verdict d'échec puisque personne n'a été à même de l'aider jusqu'ici.

Nous allons voir la jument et là dans un moment de totale révélation elle me dit :

- J'ai des tensions dans le dos parce que vous me jugez!
- Qu'est-ce qui vous fait croire que je vous juge?
- Pour aider quelqu'un il faut le juger!
- Pour aider quelqu'un l'écoute et la bienveillance dans l'absence totale de jugement sont les seules choses qui puissent vous aider. Je vous remercie infiniment du courage que vous avez de me dire que vous pensez que je vous juge.

Un des schémas mentaux les plus répandus est le jugement de l'autre

D'un seul coup l'immense résistance que je sentais depuis le début tombe. J'ai immensément de compassion pour cette femme qui s'est emmurée toute seule et vient d'ouvrir une toute petite fenêtre sur un autre monde... La jument, une fois de plus, est restée sans bouger. Elle mâchouille calmement, la tête vers le bas.

Je me sens aussi fragile que ma cliente... une carapace vient d'être brisée. Comme si un poussin venait d'éclore sur la piste. La jument très calme nous regarde d'un oeil protecteur et cela me conforte dans la prise de conscience du moment.

Christine vient de découvrir un des schémas mentaux qui l'empêche d'évoluer : le jugement du monde! C'est son propre jugement qui vient d'être mis en scène et elle peut vivre en totale sécurité que changer de croyances ne fait pas son monde s'effondrer.
C'est à l'intérieur d'elle-même qu'elle a peur de tout. Et c'est insupportable. "Si je me juge indigne, je vais donc juger que c'est à cause des chevaux qui sont imprévisibles, de l'orage qui tue, voir de l'autre qui est incapable de m'aider... "jusqu'au jour où Christine constate être en perte de vitesse sur tout ce qui l'entoure.



Un des schémas mentaux les plus répandus est le jugement de l'autre. Il nous protège de notre vulnérabilité. Etre vulnérable c'est perdre nos repères pour essayer autre chose et cela va bien au-delà que simplement "sortir de la zone de confort". C'est essayer autre chose autrement sans savoir si cela réussira... et c'est une compétence de leadership.
Cela permet de découvrir que nos structures mentales sont tellement limitantes qu'elles minent notre confiance en nous et qu'en acceptant de découvrir un autre fonctionnement notre pouvoir personnel devient précieux et opérant.